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Ma mère et moi, nous avons le même père

« Aujourd’hui, j’ai décidé de sortir de mon silence pour raconter mon histoire dans l’espoir que ma triste expérience servira à d’autres. Après des années de traumatisme qui m’ont fait sombrer dans un profond mal-être, j’ai pu heureusement en sortir.

J’ai été élevée par ma mère. Je n’ai pas connu mon père. On m’a dit qu’il est mort alors que ma mère était encore enceinte de moi. Donc, il a disparu bien avant ma naissance. J’ai grandi sans avoir jamais vu une image de lui, ou un souvenir qu’il aurait laissé. Pas même une photo, un portrait, ni quoi que ce soit. Rien. Je n’ai jamais su à quoi il ressemblait. J’ignore tout de lui, jusqu’à son prénom.

A 9 ans, j’ai été envoyée en France par ma mère, chez ma grand-mère qui y vivait depuis déjà plusieurs années. Grâce à elle, je peux dire que j’ai eu une vie adolescente correcte, épanouie. Je n’ai manqué de rien. En plus d’être la seule enfant à la maison, ma grand-mère avait toujours pris soin de s’assurer que tout allait bien chez sa petite-fille. Elle nous faisait à manger, généralement des repas authentiques de chez nous. Elle les cuisinait elle-même. Parfois, maman lui envoyait de la banane plantain pour le foutou, l’alloco ; ou du gingembre, du bissap pour les boissons, etc.

Ma grand-mère vivait seule, je dirais même qu’elle a toujours vécu ainsi. Nous n’étions que deux à la maison. Je n’ai jamais vu un homme là. Mais à mon âge, ça n’était pas mes sujets de préoccupation. Je n’ai pas connu non plus mon grand-père qui, m’a-t-on dit, était mort également très tôt. Chaque matin, ma grand-mère m’aidait à me préparer pour l’école. Elle m’accompagnait, avant de se rendre à son lieu de travail. On ne se voyait que le soir. Les week-ends étaient mes jours préférés. Non pas à cause du fait qu’il n’y avait pas cours, mais c’était les jours où je pouvais vraiment passer du temps en compagnie de ma grand-mère et manger les bons plats qu’elle cuisinait. Nous sortions quelquefois pour des petites promenades pendant lesquelles elle me racontait l’histoire du quartier. Elle connaissait la plupart de nos voisins, puisqu’elle vivait là depuis longtemps.

Pour tout dire, ma mère et ma grand-mère sont les deux êtres les plus proches et les plus chers de ma vie. Mon existence a tourné autour de ces deux personnes. J’ai passé 16 ans en France avec ma mémé. Durant tout ce temps, je ne suis venue en Côte d’Ivoire que deux ou trois fois. A l’époque, ma mère et moi, nous nous écrivions beaucoup par courriel, en plus des appels téléphoniques.

A mes 25 ans, j’ai reçu d’elle une révélation qui a failli me conduire à la mort. C’est un douloureux secret qu’elle gardait depuis plus de vingt ans. Elle me l’a dit par mail. J’ai reçu le premier mail sans avoir été prévenue du contenu. Après cela, j’étais effrayée à l’idée d’ouvrir ma boîte mail. Mais ma mère a continué à écrire et écrire.

Dans le premier mail, elle m’a révélé de but en blanc, ce qu’elle refusait de dire au sujet de mon père. Car, je ne cessais de lui poser des questions : qui était-il, quel métier exerçait-il, comment est-il mort ? etc. Au début, je n’obtenais pas de réponse, ma mère se contentait d’éviter le sujet. Des années après, elle s’est décidée enfin à m’en parler. Elle a commencé à écrire : « Il est temps que je te dise la vérité sur ton père… Toi et moi avons le même papa ». Elle a expliqué que j’ai été conçue suite à son viol par son propre père.

 

J’étais choquée et dégoûtée. Ce soir-là, j’ai failli sauter de l’immeuble où nous habitions. Je ne savais pas que faire de cette nouvelle. Ma mère m’a expliqué que son père (donc mon grand-père) menaçait de la tuer si elle parlait de cela.

Après avoir découvert qu’elle était enceinte, elle a vécu un temps dans la rue, puis s’est décidée à demander de l’aide à sa mère qui était déjà divorcée de mon grand-père (c’est-à-dire mon père). C’est elle qui l’a hébergée jusqu’à ce que je vienne au monde. Les choses ont commencé à devenir de plus en plus difficiles pour ma mère après ma naissance lorsque les gens ont commencé à lui demander qui était le père… Elle a souffert d’un stress post-traumatique qui lui a même laissé des séquelles.

Tout ce qui est arrivé quand j’étais petite prenait tout à coup un sens : le fait que je ne voyais pas de photos de mon géniteur, ni chez ma mère ni chez ma grand-mère. Aucune trace de lui. Aussi, je comprenais pourquoi ma mère m’a envoyée en France plus tard, lorsque ma grand-mère s’y est installée. Elle m’a dit que chaque fois qu’elle me regardait, cela lui rappelait son père.

Les révélations sur mes origines m’ont plongée dans une grande dépression. Je n’arrivais même plus à me nourrir. Et cela a duré aussi longtemps que je me souvienne. Je suis tombée malade. Au plus fort de la maladie, je ne pesais plus que 36 kilos ! J’ai passé près de deux mois à l’hôpital. J’étais entourée de toute l’attention de ma grand-mère, qui prenait toujours soin de moi. Mais dans la vie, tout est une question de mental. Vous pouvez être entouré des meilleurs docteurs et des meilleurs amis, mais si vous détestez la vie au point de souhaiter la mort, vous ne pourrez pas combattre le mal en vous. Il m’a fallu le soutien psychologique des médecins pour enfin commencer à sortir la tête de l’eau, et donner un sens à ma vie. Tout cela a failli m’emmener à développer des troubles psychologiques. Heureusement, j’ai pu m’en sortir. Je crois que je le dois aussi en partie à ma grand-mère. Je l’aime énormément. Pour moi, elle est un peu comme mon deuxième ange-gardien.

C’est grâce à elle que je peux vous raconter aujourd’hui mon histoire.

Merci.

 

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